LA TUSCANY TRAIL

LA TUSCANY TRAIL

Un trip gravel entre copines par Adrienne

C’est l’histoire d’une bande de copains qui, au creux de l’hiver, s’est mis à rêver de partir faire la Tuscany Trail, pour aller voir la Toscane et rêver à l’Italie. C’est l’une des épreuves cyclistes qui compte le plus de participant·es en Europe (plus de 1 000). D’abord adressée aux VTTistes, elle est désormais ouverte aux gravels. Elle ne propose ni classement, ni chrono, ni délai : on peut tout aussi bien rouler à toute vitesse et sans s’arrêter que partir avec des sacoches et des guides touristiques, dormir en bivouac sommaire ou à l’hôtel 5 étoiles. Bref, le but est de parcourir 500 kilomètres pour traverser la Toscane du Nord au sud, et de profiter. Un chouette programme en somme.

Alors bien sûr, le contexte a apporté avec lui son lot d’incertitudes, de casse-têtes administratifs et de tests PCR, mais nous nous sommes bel et bien retrouvé·es sur les quais de la Gare de Lyon à 6h du matin à démonter et empaqueter nos vélos, prêt·es pour une journée entière de train.

Dans cette bande il y a Sophie, photographe et cycliste longue distance chevronnée, habituée aux voyages à vélo et aux épreuves de bike-packing, Anaïs, qui découvre à toute allure le monde des grandes distances et des bivouacs, et connaît la Toscane comme sa poche. Il y a aussi Camille, aussi à l’aise sur les pistes de VTT que sur les longues routes. Et je complète le quatuor, avec une petite expérience de la longue distance mais beaucoup moins du gravel. En l’occurrence, il s’agit de mon premier voyage avec mon GRVL900 Ti, le titane de Triban. Je suis aussi confiante qu’impatiente. J’ai seulement modifié le plateau, optant pour un 38T plutôt que 40, pour mieux appréhender le relief vallonné mais cassant de la région.

Anaïs et moi connaissions déjà plutôt bien la région quoique nous n’y soyons pas retournées depuis (trop) longtemps. C’est une découverte pour les deux autres. Mais, qu’il s’agisse de nos souvenirs ou bien d’images fantasmées, nous rêvions tou·tes depuis des semaines aux paysages vallonnés de Toscane, au grand soleil, aux cyprès, aux cafés, aux villages renaissants, à la gastronomie, aux Strade Bianche etc. Autant dire que l’attente était grande. Et nous n’avons pas été déçu·es. Bien au contraire…

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JOUR 1 : DE LA MER AUX COLLINES

Le départ est donné dans une petite ville balnéaire du nord de la Toscane coincée entre la mer Méditerranée et des montagnes qui crachent du marbre. Au terme d’une bien longue journée de train, nous passons retirer nos dossards et saluer les organisateurs. Cette année encore, l’événement rassemble plus de 1 200 participant·es mais, restrictions sanitaires obligent, le départ est devenu libre et, surtout, étalé sur deux jours. Nous apprenons que la majorité s’est déjà élancée. Qu’importe, nous profitons d’une soirée amicale et chaleureuse à Massa et partons le lendemain.

Le réveil sonne, très tôt. Ça y est, c’est l’heure. Le temps d’une dernière douche avant longtemps, de boucler les sacoches, et nous voilà en route.

Nous glissons au petit matin le long d’un canal dans des marais dorés par le soleil levant. Le corps palpite d’impatience et est engourdi de sommeil, alors il faut prendre le temps de se réveiller et d’installer ses habitudes avant que ça ne se mette à grimper sérieusement vers les montagnes. Nous serpentons dans la plaine, traversons notre premier gué, faisons tourner les jambes. La montagne qui se dresse devant nous nous guette. Puis nous plongeons droit vers elle, et droit vers le soleil. Il y a un mur, d’abord, une rampe sèche qui fait picoter les jambes, puis une véritable ascension, patiente et tranquille qui commence sur des lacets bitumés et se poursuit sur une piste de forêt. Il est encore tôt, mais nous sentons qu’il va faire chaud.

Premier café, premières pâtisseries là-haut, en regardant un étrange ballet cycliste : les vélos de route, légers et aérodynamiques croisent des VTT, des gravels ou des vélos de voyage chargés. Nous laissons partir Silvia, avec qui nous venons de partager un bout de route. C’est une jeune italienne qui s’est mise au vélo l’année passée avec le confinement et qui, aujourd’hui, se lance dans la Tuscany Trail. 

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La suite de la trace nous régale autant que les croissants au Nutella que nous venons d’avaler. Nous sillonnons à travers des champs d’olivier et des villages de pierre blanche, avec une vue tantôt sur la mer d’un bleu profond qui s’étend sous nos yeux et projette ses reflets brillants, tantôt, de l’autre côté, sur des petites montagnes de l’autre côté de la vallée, à la végétation luxuriante et méditerranéenne, sur lesquelles se dressent des pins parasols majestueux.

Puis, quittant ce haut plateau, nous dévalons vers la ville fortifiée de Lucca. Au croisement d’une route, une mamie solidement ancrée dans sa petite Fiat nous croise et nous envoie des bisous à la volée, on les attrape et on se met en quête d’une trattoria. En fait, nous mettons moins de temps à en trouver qu’à nous décider parmi toutes les pizza et focaccia (*oui, je sais, on dit pizze et focaccie) différentes, tellement elles ont l’air délicieuses. Il est encore tôt, mais nous avons déjà faim, et la chaleur menace, alors nous filons.

La suite est un peu plus monotone mais a le mérite d’être plate et roulante. Nous évoluons sur de larges pistes au milieu d’herbes rases, pendant des kilomètres. Le soleil court vers son zénith et devient écrasant. La poussière se lève de la piste. Elle nous assèche. Il n’y a pas de difficulté majeure, mais le soleil nous impose une micro-sieste à l’ombre d’un des rares arbres que nous trouvons.

Nous rejoignons enfin des bois frais et ombragés. Leur fraîcheur offrent un répit salutaire à nos corps amorphes mais les sentiers sont parfois très boueux. La conduite est joueuse, ça patine éclabousse et fait vaciller, imprimant sur nos cuissards, pour la suite du voyage, des souvenirs orangés de cette première journée.

Retour sur la route : c’est l’occasion de reposer ses jambes, de nettoyer la gadoue qui s’est glissée sous la fourche et dans les disques et de se laisser glisser jusqu’à Castelfranco di Sotto. À l’entrée de la ville, et pour la première fois, un détail signe notre présence en Toscane. Chaque ruelle se voit rythmée par des drapeaux colorés portant des emblèmes animaliers, revendiquant ainsi son appartenance à un quartier de la ville. Ici aussi, comme à Sienne, on arbore avec fierté le symbole de sa contrada.

Nous nous arrêtons à la terrasse d’un café ombragé où il n’y a que des cyclistes qui surveillent de loin la pile de vélos boueux qui s’amoncelle de l’autre côté de la place. Et là, je fais une découverte incroyable : le café shakereto. C’est tout bête, c’est juste du café et des glaçons frappés, avec un peu de sucre, mais ça correspond exactement à tout ce que mon corps réclamait avec une très forte insistance. C’est divin. 

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Ainsi revigoré·es, nous nous remettons en route. Le ciel se couvre, l’air devient plus respirable au point que nous accueillons sans moufter le léger vent de face qui se lève et la crevaison qui nous arrive sous un pont d’autoroute, c’est-à-dire sans doute le seul endroit vraiment moche du parcours. Nous avançons sans réfléchir jusqu’à apercevoir des reliefs au loin.

Et puis enfin, nous grimpons et entrons définitivement en Toscane. Bien sûr, nous étions depuis ce matin déjà dans ses limites administratives. Mais, au moment de la bascule, nous découvrons des collines vertes et immenses qui se déploient devant nous, nous longeons des routes bordées de cyprès et des champs d’oliviers. La route serpente entre les villas majestueuses qui peuvent cracher de l’électro à plein poumons sans déranger les voisins.

La route goudronnée laisse place aux Strade Bianche. Les gravillons crépitent sous nos pneus, les coquelicots saluent notre présence et les cyprès dessinent de nobles allées vers des ruines ou des demeures isolées. Ils exhibent leur élégante et orgueilleuse silhouette sur la crête des collines. La lumière s’atténue et embrase ce tableau sublime.

Et puis, au sommet d’une des collines, alors que nos réserves d’eau se vidaient de nombreux kilomètres passés sans croiser de villages, nous retrouvons un groupe de cyclistes qui s’affaire autour d’une table dressée au milieu de nulle part. Une voisine et ses deux filles offrent une eau citronnée aux participant·es de la Tuscany Trail. Alors nous restons là quelques instants, à observer la valse joueuse de quelques nuages qui s’étirent et laissent parfois un rayon de soleil frapper de sa lumière orangée une ruine perdue dans les champs de blés, avant de nous élancer dans une descente roulante et riante de tant de bonheur.

Déjà le soir pointe le bout de son nez et nous commençons à chercher à manger. La rareté des villages dans les alentours, augmentée par les restrictions contextuelles rendent la chose moins évidente qu’il n’y paraît. Après quelques côtes assez raides - atténuées par la beauté des paysages, et avoir sollicité l’aide de quelques habitants, nous atterrissons dans le bar d’un village qui offre des assiettes fournies aux consommateur·trices de bière ou de spritz. On ne trouverait pas mieux, alors sans nous faire prier, nous acceptons les bières en échange d’un repas.

La nuit est tombée et il est largement temps de se mettre à la recherche d’un endroit pour bivouaquer. Nous trouvons rapidement un endroit à côté de l’église. Au moment de nous endormir, après avoir contemplé les étoiles depuis mon sac de couchage, un fou rire me prend. Une église a des cloches, et elles viennent de sonner onze fois. Mais peut-être se sont-elles arrêtées pendant la nuit, ou bien étions-nous trop fatigué·es : en tout cas, je ne les ai plus réentendues jusqu’au lendemain matin.  

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JOURS 2-3 : LA TOSCANE AU COEUR, ET LES STRADE BIANCHE

Deuxième jour. Ouvrir l’œil, apercevoir le soleil levant et rouge vif et se lever dans un champ d’olivier. Nous plions bagage dans cette atmosphère enchantée et filons vers le café, où nous dévalisons le rayon des viennoiseries pour les partager. L’une est à la crème, une autre au chocolat, d’autres aux fruits, etc. Nous ne savons jamais vraiment à quoi nous attendre en croquant, faute de maîtriser parfaitement l’italien, mais c’est toujours bon. Après ce copieux petit-déjeuner, nous voilà fin prêt·es à reprendre la route, et sillonner, pendant deux jours, en plein coeur des vallées toscanes.

La route nous réserve d’abord une descente sur un goudron impeccable, rythmée par les cyprès qui laissent entrevoir les collines vers lesquelles nous fonçons. Une montgolfière rouge pétant flotte au loin et se rapproche de nous. Dans les airs comme à terre, nous nous saluons.

Le rythme des montées sèches, puis des descentes à toutes berzingues, et de nouveau des raidards, etc., est lancé. Nous dépassons un village où, semble-t-il, pas mal de participant·es ont dormi à l’hôtel et se mettent à présent en route, et un plateau légèrement descendant nous offre l’effervescence d’un horizon dégagé.

Mais il est déjà temps d’affronter l’une des premières grosses difficultés du parcours, la montée vers Volterra. Elle se fera par la route et, pour une fois, parmi les voitures. La chaleur est déjà forte et nous écrase contre le bitume, mais comme toujours : à condition de trouver son rythme, ça passe. Une dernière rampe nous conduit à travers une rue piétonne et touristique et nous voilà l’heure du café et du petit-déjeuner, ou du déjeuner, c’est selon. Nous savons que cette pause n’est qu’un intermède : une descente en lacets dans des champs d’oliviers nous fait prendre une vitesse grisante avant d’entamer le deuxième « col » d’affilée, en gravel cette fois, c’est-à-dire sans voitures, mais avec des portions aux pourcentages souvent plus élevés. Sans vraiment comprendre pourquoi ni comment, je me sens étonnamment en forme et j’appuie sur les pédales jusqu’au sommet, avant de ralentir devant la beauté des paysages qui s’offrent devant nous.

Après ces deux gros morceaux, nous entrons dans un rythme qui nous suivra jusqu’au lendemain soir, alternant les Strade Bianche parmi les collines, quelques passages boisés, et des grimpettes jusqu’à des villages juchés sur leurs hauteurs, les éclats de rire et les pauses rafraîchissantes, tantôt avec un café shakereto, tantôt une bière, tantôt une glace, tantôt des pizzas, tantôt des planches de produits locaux, etc.

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Je suis frappée par l’harmonie de notre groupe. Bien sûr, nous avons un peu l’habitude de rouler ensemble, et nous pensions bien que ça allait marcher. Mais globalement, nous trouvons une allure qui convient à tout le monde et roulons la plupart du temps tous les quatre. Ce qui est plus pratique pour raconter des bêtises, et bien plus agréable pour partager la beauté de ce que nous voyons.

Ce qui est chouette aussi, c’est que nous entamons un chassé-croisé sympathique et convivial avec d’autres participant·es. Nous ne roulons pas exactement au même rythme et ne décidons pas exactement des mêmes pauses mais, globalement, nous finissons toujours par nous passer et nous repasser. Alors nous nous reconnaissons, nous saluons et papotons.

Ainsi, la visite de San Gimignano, de Monteriggioni (où Camille réussira l’exploit de parvenir sans poser pied à terre, avec des passages proches des 20% !) pour le deuxième jour, ou bien de San Quirico d’Orcia ou Pienza pour le troisième resteront des moments d’une beauté raffinée et de délicatesse nuancée - même si les haltes sont brèves chaque fois.

Entre ces gourmandises culturelles, les efforts sont saccadés et parfois intenses et, globalement, la chaleur est étouffante entre 13h et 16h. Mes camarades semblent un peu mieux l’encaisser, même si elle est dure pour tout le monde. A ces heures, je cesse de chanter à tue-tête les chants italiens ou la variété française qui me passent normalement par la tête et sans doute profitent-ils aussi de ce repos… Mais dès qu’on peut, on s’arrête à une fontaine pour tremper nos maillots et nos casquettes, et pour décoller la poussière blanche accumulée sur nos peaux comme sur nos vélos.

En dehors de ces heures, chaque instant ou presque est un délice esthétique et sportif. Parfois, il y a des murs qui montent à sec, le vélo se cabre et les pneus patinent mais j’applique le conseil que Sophie nous donne : il faut se plaquer contre le vélo pour baisser le centre de gravité. Ça donne des allures de scarabée pressé, mais ça marche plutôt bien. Peut-être aussi que le plateau ovale aide. En tout cas, à condition de renoncer à l’élégance et la fluidité, ça marche plutôt bien et ça ne tire pas trop sur les jambes.

Parfois, il y a ces longues pistes qui se déploient et nous tirent dans leur élan, le gravier qui crépite, nos vélos qui filent, nos jambes qui relancent, le vent d’air frais qui balaye les blés et nos visages et les fleurs sauvages qui pétillent de mille couleurs. Plus nous descendons vers le sud, plus les couleurs tournent vers le jaune, plus les blés sont déjà emballés, plus nous atteignons le coeur de l’été. C’est sublime. 

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Au milieu de ces deux jours enchantés, comme un intermède délicieux, nous sommes passés par Sienne. L’impatience de découvrir son coeur a atténué la fureur des grandes villes à laquelle nous n’étions plus habitué·es : le coeur palpitant, je sondais chaque rue à la recherche de souvenirs enfouis, jusqu’à tomber sur une place que j’ai enfin reconnu, un repère a réorganisé dans ma mémoire la géographie de la ville. Alors nous avons filé à toute allure à travers les hautes ruelles de brique qui, de temps en temps, débouchent sur des palais somptueux, avant d’être projetés sans crier gare sur la Piazza Del Campo.

La Piazzo del Campo, en forme de coquillage, nous enserre de sa clameur particulière. La couleur brique des palais sublimes répond au soleil couchant qui se joue contre la haute tour du Palazzo publico. La place est parsemée de gens assis par terre, qui partagent un verre ou des discussions. Le temps semble suspendu. Alors pour fêter la moitié de notre voyage, nous nous installons sur une terrasse coincée dans une ruelle, et nous partageons des pizzas et des bières, avant de repartir, dans la nuit, chercher un bivouac à la sortie de la ville. Nous trouverons une étroite parcelle qui ira bien pour cette nuit-là.

Le bivouac du troisième jour sera clairement plus prestigieux. Quittant le cours d’eau que la trace longeait, apeurés par les moustiques, nous trouvons un vaste champ en friche au milieu des collines silencieuses et désertes. Au loin, une propriété, indiquée pas une allée de cyprès, surplombe le paysage et signe la seule présence humaine des alentours. Encore émerveillés par les heures dorées et paisibles que nous venons de traverser, nous partageons un apéritif (saucisson de sanglier et biscuits au fenouil) avant de nous endormir. La traversées des collines toscanes s’achève ainsi, dans une apothéose tranquille et sublime. 

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JOUR 4 : REVOIR LA MER

Le quatrième et dernier jour prend des tonalités nettement différentes. Le temps gris, timidement menaçant, vient saturer le vert sombre d’une végétation plus fournie. Nous nous sommes arrêté·es au pied de notre plus grande ascension, vers la ville de Radicofani. Je me connais, je sais que mes jambes mettent du temps à répondre le matin, alors je laisse mes camarades filer et je branche de la musique pour aborder la montée qui se fera sur une piste cahoteuse. Je fixe sur une allure réduite mais stable, et prends mon mal en patience… et puis voilà déjà les derniers lacets avant de découvrir un petit bourg médiéval perché sur sa montagne. Le basalte, sombre et austère, a remplacé la brique délicate. Heureusement, la terrasse d’un troquet nous offre un répit chaleureux agrémenté de pâtisseries abondantes (même si, devant l’ampleur de notre commande, on nous demande d’en laisser aux autres…).

Nous repartons, soulagés d’avoir passé la plus grosse difficulté, et le coeur léger. Il fait plus frais que ces derniers jours aussi, même si je regrette un peu la lumière triste. Dès lors, le paysage change : le relief est plus tranché et plus arboré. Le sol passe du blanc au gris, la lumière sombre accroche des reflets bleu électrique. D’immenses genêts touffus, jaune saturé, bordent les routes, accompagnant une longue descente juste assez engagée pour foncer et manœuvrer. En même temps, la course menace d’être interrompue à chaque virage, par la stupéfaction qu’engendre chaque nouveau point de vue.

La route que nous retrouvons sillonne ensuite parmi des gorges luxuriantes jusqu’à Pitigliano. La ville, fortifiée et sombre, est construite à flanc de montagne, imposante et superbe. Nous la rejoignons par un sentier qui grimpe sec et nous fait passer par des constructions étrusques quasi troglodytes, avant de rejoindre des ruelles médiévales jusqu’aux constructions baroques. Chaque mètre gagné en altitude nous fait traverser des siècles d’histoire, et on se sent bien petits en contemplant cette ville depuis un balcon dégagé. 

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Une dernière ascension doit nous faire passer de l’autre côté de la vallée encaissée. À partir de là, la trace sera globalement en descente, quoiqu’avec quelques petites côtes bien cassantes. Alors, forcément dans la tête, on ne peut pas s’empêcher de se dire que c’est gagné, et que le plus dur est derrière nous. Sophie a faim et n’est pas là pour regarder les papillons, nous dit-elle, alors elle accélère et nous on s’accroche à ses roues.

Nous en remettons une couche sur les pistes boisées en faux plat descendant pendant des kilomètres, et dans une ascension à travers des pistes endommagées par les éboulis de pierre, puis de nouveau sur les portions plus roulantes. Chacun·e est dans sa bulle et veut avaler les quelques 80 kilomètres qui nous séparent de l’arrivée.

Je sais pourtant que je suis en train de faire une bêtise et de me cramer, mais je la fais quand même, parce que ça fait du bien de rouler, parce que l’arrivée nous semble proche et parce que nous allons voir la mer. Mais avant la dernière côte, alors que nous n’avons pas croisé de villages depuis une éternité, je cale sec. La faim devient un coup de pompe. Alors avec un grand soulagement, Sophie et Anaïs, qui me tiraient péniblement, proposent de s’arrêter. L’heure d’ouvrir le panforte que j’avais acheté à Sienne (chez Nannini, pour les plus fins connaisseurs), un dessert typique mêlant fruits confits, amandes et épices. Deux camarades, que nous croisons constamment depuis deux jours, arrivent à ce moment-là, et nous le partageons ensemble sur le bord de la route. Rassérené·es par ce mélange d’énergie et de convivialité, nous repartons enfin vers Capalbio, où toutes les terrasses sont envahies par des cyclistes vacillants. Nous ne savons plus bien si c’est l’heure du café ou de la bière, mais en tout cas celle de repartir arrive vite.

Ça y est. Nous arrivons sur la dernière plaine avant la mer. Nous filons sur les routes de plus en plus passantes au fur et à mesure que nous nous approchons de la presqu’île d’Orbetello. L’odeur de la mer commence à se faire sentir, et les mouettes nous saluent au loin dans un rire moqueur. Nous traversons une pinède alors que la lumière décline, et les gros pins parasols, biscornus, nous plongent dans une atmosphère quasi magique. Nous surgissons des bois et tombons nez à nez avec une lagune embrasée par un crépuscule sublime. Nous avons à peine le temps de sortir nos appareils photos qu’une armée de moustique nous attaque et nous précipite vers l’arrivée. Une dernière route bordée de deux lagunes, de chaque côté, apporte la touche finale à ce tableau magnifique.

L’heure est parfaite, l’arrivée sublime. Il est temps de fêter la fin de notre voyage, de boire une bière et de se resservir trois fois des pâtes, avant de filer prendre une douche et de dormir dans un vrai lit. Demain, nous irons nous baigner. Mais nous nageons déjà en plein bonheur.

Mon vélo

Il s’appelle Pippão, et c’est le GRVL900 Ti n ° 77. Un gravel en titane, aussi confortable qu’agréable dans les relances.

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